Évocation des instruments de mesure du temps et cadrans solaires


Compte rendu de la conférence donnée le 18 octobre 2023 par Patrice Wuine


« Le temps est ton navire, et non ta demeure »
Alphonse de Lamartine

En guise d’introduction, il convient d’exposer quelques considérations sur la notion de temps, notamment la polysémie relevée par Étienne Klein, à savoir : le temps perçu ou psychologique et le temps des scientifiques, où l’on constate aussi des différences entre les grandes théories physiques. Le temps absolu de la théorie de Newton et le temps relatif d’Einstein. Ne parlons pas du temps de la théorie quantique, aussi mystérieux qu’une superposition d’états.

Le temps d’en parler …

L’échelle des temps est aussi particulièrement étendue. Si la seconde est l’unité de temps adoptée comme référence par la science, les ordres de grandeur des intervalles de temps intervenants dans notre réalité physique sont si étendus qu’ils sont hors d’atteinte de notre perception :

  • Le temps de Planck : 10-43 s, soit 0,000(42x)1 s. C’est l’intervalle de temps en dessous duquel les équations de la physique actuelle ne fonctionnent plus…
  • L’attoseconde : soit 10-18 s, un milliardième de milliardième de seconde ; c’est l’ordre de grandeur du temps de changement de niveau d’énergie d’un électron. Le prix Nobel de physique 2023 à été justement attribué à trois physiciens qui ont mis au point un dispositif émettant des impulsions lumineuses de la durée de l’attoseconde. Il y a autant d’attosecondes dans une seconde que de secondes écoulées depuis la naissance de l’univers.
  • La nanoseconde : soit 10-9 s, un milliardième de seconde. Le microprocesseur de nos ordinateurs réalise une opération élémentaire (une addition de bits, p.ex.) en une nanoseconde.
  • La seconde : unité de mesure officielle du temps. Il y a 86 400 s dans un jour solaire moyen. Un photon de lumière parcours 299 792 458 m en une seconde dans le vide.
  • L’année : le soleil met 365 j 6 h 9 min et 9.8 s pour revenir à la même position sur la voute céleste.
  • Le million d’années : 106 a. Les dinosaures apparaissent il y a 250 Ma et disparaissent il y a 65 Ma, apparition des premiers hominidés il y a 7 Ma ; Homo sapiens a 200 à 300 000 ans et sort d’Afrique il y a 100 000 a.
  • Le milliard d’années : 109 a. Échelle des temps géologiques. L’âge estimé de l’univers est de 13.8 Ga (milliard d’années) ; la terre est âgée de 4.5 Ga, la lune de 4.3 Ga. Les spécialistes situent l’apparition de la vie il y a ±4 Ga et les premiers organismes multicellulaires il y a ±2 Ga. Dans ±1 Ga dans le futur, toute vie sur terre sera devenue impossible à cause de l’accroissement de l’activité du soleil.

Une brève histoire de la mesure du Temps

Évolution des techniques de mesure du temps

Dès ses débuts, l’humanité éprouve le besoin de mesurer l’écoulement du temps. Les chasseurs-cueilleurs avaient déjà besoin d’une bonne estimation du temps écoulé pour planifier leurs migrations saisonnières. Les débuts de la sédentarisation et le développement de l’agriculture ont amplifié le besoin d’une mesure du temps fiable et reproductible.

La périodicité et la reproductibilité des mouvements du soleil ont rapidement été mises à profit par nos ancêtres qui ont d’abord profité des structures naturelles pour mesurer le temps (pics qui projettent une ombre sur une parois, voir les gravures rupestres du Mont Bego), évoluant vers des dispositifs artificiels comme un bâton vertical (style) ou une règle horizontale projetant une ombre sur des repères pérennes marqués par des pierres ou des traits gravés sur le support. Le cadran solaire état né.

Le besoin de s’affranchir du soleil, qui comme chacun sait est tributaire de la météo et n’est visible que de jour, à conduit au développement d’autre systèmes.

Les premières clepsydres apparaissent déjà 3000 ans av. J.-C. Basées sur l’écoulement d’eau par un orifice, les premiers modèles sont très imprécis ; mais évoluent rapidement vers les horloges à eau à remplissage ou les modèles à tambour.

L’astrolabe, inventé par les grecs et perfectionné par les arabes est un instrument de visée, largement utilisé par les marins, qui permet de de mesurer la hauteur des étoiles, dont le soleil, et ainsi de déterminer l’heure de l’observation et la direction de l’astre. Les premiers astrolabes datent de 300 apr. J.-C.

Vers l’an 800, apparaissent les horloges à feu. Une mèche ou une bougie ou une quantité de liquide (huile) se consume libérant au fur et à mesure des petites billes, par exemple.

Les sabliers apparaissent vers l’an 1000 et le premières horloges mécaniques vers 1400. Celles-ci ont évidemment une précision très relative (1/4 h par jour) et nécessitent un réétalonnage régulier grâce à une méridienne (cadran solaire) ou les canons portuaires dont nous reparlerons.

Les premières horloges électriques apparaissent au début du 19e s, conséquence directe des progrès de l’électromagnétisme, suivies des horloges à quartz grâce à la découverte des propriétés piézoélectriques de ce cristal.

Viennent ensuite, vers 1945, les premières horloges atomiques, dont la dernière évolution, l’horloge au césium, est tellement précise que la la 13e Conférence générale des poids et mesures a redéfini la seconde par rapport à la désintégration du césium.

Heure solaire <> Heure de la montre

L’orbite de la Terre autour du soleil est elliptique et le soleil n’est pas au centre de l’ellipse. La distance de la Terre au Soleil oscille régulièrement tous les ans autour d’une valeur moyenne. D’autre part, l’axe de rotation de la Terre sur elle-même n’est pas vertical ; il est incliné de 23.4° par rapport au plan de l’orbite. La combinaison de toutes ces particularités fait que la position du Soleil sur la voûte céleste, à une heure donnée de la journée, décrit une forme en 8 déformé qu’on désigne sous le terme d’analème. Sur un cadran solaire, la longueur de l’ombre projetée à une heure donnée et l’angle de cette ombre par rapport à une direction de référence ne sont pas fixes au cours de l’année.

Analème calculée

Position du soleil à lamême heure pendant un an

 

Le midi d’un lieu géographique donné est le moment où le Soleil est le plus haut dans le ciel ; et cela varie avec la longitude. Le soleil culminera plus tôt dans le ciel dans les régions plus à l’Est que votre position et plus tard à l’Ouest. Il suffit pour s’en rendre compte de se souvenir que le journal télévisé du 31 décembre nous montre traditionnellement le feu d’artifice du nouvel an à Sydney aux actualités de 20h00 ! Entre villages voisins, la différence est négligeable (entre Momignies et Chimay : ±30 s). Mais quand les distances se comptent en centaines voire en milliers de kilomètres, il devient impossible de se référer au midi solaire local pour se synchroniser avec les voisins. On a donc décrété que l’heure d’un lieu est donnée par celle du méridien le plus proche, à savoir Greenwich pour nous. Las, la seconde guerre est arrivée, et l’occupant allemand a imposé l’heure de Berlin pour uniformiser l’heure dans son “Empire”.

En plus, lors des premiers chocs pétroliers des années 70 est arrivée la (fausse) bonne idée d’avancer les horloges d’une heure en été.

Les types de cadrans solaires

  • Cadran à style perpendiculaire – le plus évident : simple bâton ou mât planté dans le sol, obélisque, tour, etc.
  • Cadran en escalier : en fonction de l’heure, certaines marches sont éclairées ou l’ombre d’un objet s’y projette.
  • Cadrans présentant un creux sphérique dans lequel se projette l’ombre d’un style (scaphés grecs), ou volume sphérique. La forme sphérique épouse la forme de la voûte céleste.
  • Cadrans de berger, portables, utiles aux bergers pour déterminer la date de la transhumance.

 

Cadran en escalier

Scaphé

Cadran de berger

  • Clepsydre moderne fonctionnant grâce à un système de siphons.
  • Clepsydres à tambour : un tambour creux et fermé contenant de l’eau dont l’axe horizontal s’enroule de part et d’autre sur des cordes. L’ecoulement de l’eau à l’intérieur du tambour, freiné par des parois, ralenti la descente du tambour.

 

Clepsydre à siphon

Clepsydre à siphon

Clepsydre à tambour

Clepsydre à tambour

  • Cadrans horizontaux et verticaux : les plus courants, dont l’ombre du style se projette sur un socle marqué pour déterminer la date et l’heure
  • Cadran équatorial : la table du cadran est parallèle au plan équatorial et le style planté perpendiculairement à la table et orienté dans le plan du méridien (vers le sud pour nous).
  • Cadran armillaire : le style, paralèlle à l’axe de rotation de la Terre projette son ombre sur un ruban hémi-cylindrique.

Cadran équatorial

Cadran armillaire

Cadran araignée

Cadran bifilaire

  • Cadran polaire : même principe qu’au point précédent sauf que la table est planne. Le style est parallèle à l’axe N-S.
  • Cadran araignée : la spécificité de ce cadran est dans le marquage de la table. Les cercles concentriques correspondent à la date, les lignes ondulées correspondent à l’heure. Ce type de cadran est conçu pour réconcilier l’heure solaire et l’heure de la montre.
  • Cadran analemmatique : c’est un cadran à style perpendiculaire, mais dont le style doit être déplacé en fonction de la date, autre façon de réconcilier heure solaire et heure de la montre.
  • Cadran bifilaire : l’heure et la date se lisent à l’intersection de des ombres projetées par deux styles croisés.

Des cadrans épatants

  • Bernard Roussel, Breton, géomètre et prof de math, a conçu un cadran à trois fils qui donne le midi vrai quand les ombres se réunissent en un point.

Cadran à trois fils de Bernard Roussel Idem Canon portuaires Cadran par réflexion

Cadran à trois fils de Bernard Roussel

Idem

Canon portuaire

Cadran par réflexion

  • Denis Savoie refait des marquages horaires au sol autour de l’obélisque.
  • Les canon portuaires : les rayons du Soleil de midi sont focalisés par une lentille sur le dispositif de mise à feu du canon dont le tir signale le midi aux bateaux à quai dans le port (… ainsi qu’à tous les voisins souffrant d’une cardiopathie latente – NDLR).
  • Projection lumineuse : une fine fente dans une cloison extérieure laisse rentrer un pinceau de lumière à l’intérieur dont l’angle permet de marquer le temps.
  • Cadran par réflexion : un miroir posé sur un appui de fenêtre réfléchit les rayons du soleil à l’intérieur. Reste alors à marquer les murs de l’habitation en fonction du moment.
  • Cadran par transparence : un occulus (petit trou) projette un spot lumineux sur une matière translucide sur laquelle les marquages temporels ont étés tracés.
  • Cadran à lamelles : l’ombre portée de la lamelle méridienne sur les lamelles secondaires détermine l’heure.

Cadran labyrinthique

Cadran intégré dans une façade – Bruxelles

Cadran à torsade

  • Cadran labyrinthiques : Un bloc solide est percé de nombreux trous dont la position et l’orientation ne laissent passer les rayons du soleil qu’à un moment bien précis, permettant d’écrire l’heure par transmission sur le support sous forme de pixels lumineux. Ces objets sont réalisés par impression numérique.
  • Cadran vertical hemi-cylindrique dans la façade d’un bâtiment Boulevard Baudouin I – 1000 Bruxelles, du côté de Koeckelbergh.
  • Pendule de Foucault, dont le plan d’oscillation tourne autour de l’axe vertical de façon régulière.
  • Cadran à torsade : le terminateur, soit la limite entre l’ombre et la lumière, donne l’heure sur le ruban.
  • Cadran lunaire : la lumière de la lune peut également projeter une ombre…
  • Claude Gahon et ses cadrans solaires spéciaux
  • À signaler : le Zonnewijzerpark qui présente une grande variété de cadrans solaires le long d’un parcours nature.

Les cadrans du CNABH

Le cadran de Momignies, les chiffres découpés dans une armille semi-cylindrique en inox se projettent sur une table monolithique. Le projet fut réalisé en pierre du pays et fit appel à des artisans locaux.

Le cadran solaire du viaduc de Blaimont : réalisé en collaboration avec le sculpteur Jean-Claude Dresse. Cadran totem en forme de cigogne par référence au lac de Virelles tout proche. La précision du cadran est de 3 min.

J.-C. Dresse

Plan du cadran solaire

Le résultat final…

Un projet de sept miradors de différentes tailles à Chimay, Momignies, Couvin, Viroinval, etc. Le CNABH à fait des suggestions aux promoteurs qui prévoient, outre l’intégration de cadrans solaires, d’en dédier au moins un aux observations astronomiques.

Projet de mirador

 

 

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